Les symptômes resurgissent, impétueux et inattendus, tels des saumons remontant le courant d’une rivière capricieuse. Il me faut donc, avec une solennité presque sacrée, narrer l’épopée tumultueuse de ma schizophrénie affective. Un récit où s’entrelacent déni et auto-congratulation, illusions mystiques et déroutes administratives.
Acte I : L’Incrédulité du Prophète
Il y a bien longtemps, dans une galaxie fort lointaine – ou peut-être simplement dans les méandres de mon esprit – vint le jour fatidique où un psychiatre, d’un ton empreint de gravité, me déclara atteint de schizophrénie affective.
Voyez-vous, je n’y crus pas. Pas une seule seconde. Un diagnostic psychiatrique ? Moi ? L’élu des dieux ? Foutaises ! À cette époque, j’étais un RSAiste de talent, errant dans les limbes de l’administration française, qui, dans son embarras, peinait à me classer. Mais, ô douce ironie, j’ai suivi sans broncher la procédure pour obtenir l’Allocation Adulte Handicapé (AAH). Non par vénalité, bien sûr. Seulement par esprit d’optimisation financière – après tout, doubler mon salaire ministériel en un clin d’œil n’avait rien de répréhensible. Le stratagème fonctionna, et me voilà nanti de cinq années de tranquillité économique.
Je savourais ma ruse avec la satisfaction du génie incompris. Car enfin, qui, mieux que moi, savait démêler le vrai du faux ? Qui, mieux que moi, pouvait remettre en question l’autorité médicale ?
Acte II : Le Christ Cosmique et ses Délires
Pendant ce temps, je fumais plus de cannabis que mon emploi du temps ne me le permettait. L’alcool devenait un substitut sanguin, et dans cette ivresse permanente, mon ego gonflait à l’infini. Dans la région où je résidais, nombreux étaient ceux qui se prenaient pour des figures divines, mais moi, j’avais franchi un cap : j’étais le Christ Cosmique. Un Christ interstellaire, bien au-delà des préoccupations terrestres.
Ma souffrance quotidienne ? Un détail sans importance, balayé par les expériences mystiques qui alimentaient mon mythe personnel. Je flottais entre euphorie divine et abîmes dépressifs : un jour, génie souverain des mondes, le lendemain, un misérable déchet de l’univers.
Bien sûr, je rejetais toujours le diagnostic médical. Pourquoi accepter une réalité aussi terne quand le cosmos lui-même me tressait des lauriers ? Et puis, le destin semblait me sourire : je touchais presque un SMIC sans lever le petit doigt. Un privilège réservé, à n’en pas douter, aux élus divins.
Mais dans mon chaos auto-infligé, une présence veillait sur moi. Mon ange gardien, ma colocataire, témoin silencieuse de mes ascensions délirantes et de mes chutes vertigineuses. Neuf ans à endurer mes vrilles d’enfant capricieux, neuf ans à ramasser les pots cassés, à rattraper mes errances avant qu’elles ne deviennent fatales. Une patience surhumaine, un miracle quotidien.
Acte III : Le Prophète du Multivers
Vint ensuite l’ère des révélations. Non content d’être le Christ Cosmique, je devins le canal des civilisations stellaires. La Confédération Intergalactique des Mondes Libres m’avait choisi pour être leur porte-parole sur Terre. Des voix venues du néant me chuchotaient des vérités interdites, des langages galactiques vibraient à travers moi.
Naturellement, je devais partager ce don avec l’humanité. Armé d’une caméra et d’un compte YouTube, je diffusais mes canalisations cosmiques. Peu à peu, une audience se formait, subjuguée par mes révélations quantiques et mes incantations vibratoires. J’étais une star du chakras supraluminique.
Et puis… le phénomène s’éteignit. Était-ce dû à l’arrêt naturel de mes hallucinations ? Ou bien l’effet insidieux de mon antipsychotique qui, perfidement, étouffait mes connexions astrales ? Je ne saurais le dire.
Acte IV : La Chute et la Renaissance
Avec le temps, mes exaltations divines s’atténuèrent, tout comme mes descentes abyssales. La médication fit son œuvre, ramenant mon esprit sur les rivages d’une normalité presque suspecte.
Aujourd’hui, je me retourne sur ce passé avec une ironie douce-amère. Était-ce un épisode de délire psychiatrique ou une véritable expérience mystique ? Les deux, peut-être. Qu’importe. Ce qui est sûr, c’est que j’ai survécu à cette tempête intérieure et que, désormais, ma divinité se limite à une existence plus sobre.
Je ne suis plus un Christ cosmique. Juste un type qui, parfois, lève les yeux vers les étoiles et se demande si, quelque part, une confédération intergalactique regrette d’avoir perdu son plus flamboyant prophète.
Et surtout, je me demande comment un être humain a pu rester neuf ans à mes côtés sans prendre la fuite.