Ah, l’orgueil… Ce fringant capitaine d’un navire imaginaire nommé Moi, qui, le sabre au clair et le regard grave, prend la mer comme s’il allait sauver le monde, alors qu’il ne fait que tourner en rond dans une baignoire.
Ces temps-ci, les vents de ma vie soufflent dru et mènent ce fier navire dans des criques étroites, dévoilant les écueils cachés sous la surface : jalousies déguisées en amour, possessivité peinte en loyauté, attentes farouches habillées d’espérance. Et au centre de cette armada d’émotions, un petit dictateur trônant sur une boîte de conserve, persuadé d’être l’Empereur de mon univers intérieur.
Parfois, dans des scènes où la comédie de l’absurde tutoie le génie, tout mon être me supplie de rire – un de ces éclats francs et libérateurs qui déplient le diaphragme et éclaboussent le silence. Mais non. L’orgueil surgit, manteau noir au vent, et d’un ton compassé me murmure :
« Ce n’est pas drôle, c’est grave. Redresse-toi. Respecte tes valeurs. »
Ah, les valeurs… Ces petits soldats de plomb plantés dans la terre meuble de mes pensées. Des oriflammes mentales dressées pour masquer le mystère vivant du présent. De jolis cache-misères dorés au nom du Bien. Comme si la vie, cette impératrice sauvage, avait besoin de mes dogmes de salon pour s’exprimer ! Elle danse, elle, nue et sans complexe, sur les tables de banquet de l’inconnu.
Alors, la pression est montée, crescendo, une mélodie oppressante jouée par l’orchestre de mes illusions. Jusqu’au point de rupture. Et là… miracle. Silence. Fracas doux. Tout a cédé. Comme une digue qui laisse passer l’eau vive. Et dans cette brèche, un souffle, un chant, un cœur nu. Chaud. Vibrant. Là, des larmes ont coulé. Non pas de douleur. Mais de retrouvailles.
Il était là. Mon cœur. Ce bon vieux compagnon de route que j’avais laissé dans le coffre, étouffé sous des piles de devoirs et de principes. Et il s’est mis à me nourrir. À me remplir de tout ce que j’attendais des autres. Ce que l’orgueil m’avait volé en douce, en me faisant croire que je n’étais pas encore assez.
Depuis… je ris. Pas comme avant. Non. Des rires qui sortent du ventre, qui font sauter les verrous. Et l’inconnu – autrefois mon ennemi juré – est devenu mon terrain de jeu préféré. Mon entourage, jadis figé par mes griffes de contrôle et mes œillères d’attente, respire aussi à nouveau. Ils rient avec moi. Ils sont libres, comme moi, comme nous.
Alors, la vie est-elle un jeu ?
Oh oui. Et quel jeu sublime, quand l’illusion d’un moi sérieux s’efface enfin.
Elle coule, la vie. Tantôt torrent impétueux, tantôt ruisseau qui fredonne.
Et franchement… c’est sacrément beau. Et sacrément rigolo.