Des angles morts plus gros qu’un camion

La paix, la joie se prélassaient tranquillement dans mon expérience, je croyais être arrivé, pouvoir déposer mes valises et dire ça y est, c’est la fin de la souffrance.

Je ne désirais plus rien et laissais la vie m’offrir ses bénédictions avec délectation et une certaine forme de jouissance assumée.

Puis l’iceberg s’est dévoilé, laissant apparaître des parties de mon existence insoupçonnées ou plus exactement mises sous le tapis et gentiment reniées. La paix, la joie et la jouissance ont laissé la place à un goût trop longtemps expérimenté, celui de la souffrance, du manque et de l’envie.

Alors je triche, je me réfugie dans mon cœur, bien au fond, là où tout est calme et paisible, là où la souffrance n’a jamais existé. Je fuis l’expérience, cherchant à retrouver ma légèreté, à retrouver mon innocence et la grâce qui l’accompagne.

Mais quand on cherche l’authenticité, la fuite n’est pas permise, et voilà que la souffrance se superpose à la paix et que je me retrouve à vivre les deux opposés simultanément. Il n’existe plus aucune zone de repli, plus aucun échappatoire.

Je réalise alors que la paix, le silence et la joie ne sont que des attributs, ils ne sont pas plus réels que la souffrance. Ils n’offrent pas le repos auquel j’aspire. Ils font partie de la danse incessante de la vie : la paix existe pour le chaos, la joie existe pour la tristesse, le silence existe pour le bruit.

Ce sont les opposés d’une seule et unique pièce, une pièce indissociable, une pièce qui se joue par l’alternance ou la superposition permanente des opposés.

Si je souhaite en finir avec la souffrance, je dois faire le deuil de la paix. Si je veux en finir avec la tristesse, je dois faire le deuil de la joie. Et ainsi de suite.

Sans m’en rendre compte, je me suis attaché à ces attributs plus agréables, et heureusement pour moi, la vie me veut libre. Libre de toute empreinte, libre de tout désir, libre de toute préférence.

Alors elle me force la main, elle me contraint à faire le deuil de mes attachements.

Je suis obligé d’admettre que si le monde extérieur est transitoire, le monde intérieur l’est tout autant. La haute vibration et ces mondes subtils sont des états qui ne durent pas, la paix et le calme sont d’autres états transitoires, la joie et ses plaisirs sont tout aussi mobiles.

Finalement, tout ce qui m’a été donné d’expérimenter transite d’un état à l’autre. Rien n’a jamais été stable dans l’expérience que j’ai vécue. À l’image du jour et de la nuit, la roue tourne sans s’arrêter.

Peut-être existe-t-il des mondes où la paix règne en maître, mais à quoi bon choisir de tels mondes, sachant que pour qu’ils existent, leurs opposés doivent nécessairement exister aussi.

Je suis fatiguée, je ne souhaite plus jouer à l’ombre et à la lumière, à l’évolution et à l’involution. Je ne souhaite plus nourrir leur danse incessante. Je ne souhaite plus participer à ce carnaval macabre qui se joue en moi mais aussi partout dans l’existence.

J’ai choisi mon camp, et c’est celui de la neutralité. Si la vie me le permet, je ne nourrirai plus aucun parti. Je ne privilégie plus la paix au chaos, la joie à la tristesse, l’immobilité à la mobilité.

Je reste là, avec la multitude qui m’habite.

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