Au fond de mon cœur, il y a un silence. Pas un silence vide ou froid, mais un silence qui respire. Un silence immobile et pourtant vibrant, comme une forêt à l’aube, comme la belle verte qui chante sans bruit. Là, rien ne bouge, rien ne manque. Aucun traumatisme n’y laisse de trace. Même l’amour n’y pénètre pas. Rien ne s’y imprime, rien ne s’y affirme. C’est un lieu sans lieu, une paix sans cause, une absence si pleine qu’elle en devient présence. Là, je ne suis pas. Et c’est cela qui me tient.
Quand cette vérité m’a été révélée, ce fut une reconnaissance. Une évidence douce et absolue. Et pourtant, quelque chose s’est soulevé en moi : une voix. Une voix enragée de se savoir illusoire, une voix tremblante de perdre sa couronne, sa forme, son nom. Cette voix disait « je suis », « j’existe », « regarde-moi », « ressens-moi ». Elle criait au scandale, à l’abandon, à la folie. Et j’ai cédé. J’ai plongé dans ce cri. J’ai dormi dans son écho pendant des années.
Presque sept ans à ne pas bouger. Sept ans à habiter un lit comme une cellule sacrée, avec l’étiquette psychiatrique collée au front comme un sort. Était-ce une protestation ? Une résistance ? Peut-être. Peut-être que c’était mon refus de cette vérité : je ne suis pas ce que je croyais être. Je ne suis ni cette douleur, ni cette histoire. Même pas cette poussière d’étoile que les poètes revendiquent. Juste : rien.
Et pourtant.
Et pourtant, j’aime. J’aime la vie avec une lenteur nouvelle. J’aime ressentir, même si cela tremble encore. Mon ventre, ma poitrine, frémissent d’un souffle ancien, presque inaudible, comme un enfant apeuré qui n’ose pas sortir de sa cachette. Mon corps se réveille, et je ne sais pas encore comment l’accueillir. Il a été si longtemps mis de côté, accusé de tous les maux. Aujourd’hui il revient, il s’étire, il réclame sa place. Je le laisse faire. Je ne sais pas ce que j’aime, mais je sais que j’aime ressentir. Même ça.
Je suis en chute libre, oui. Mais la vie me tient. Un feu a pris naissance, là, quelque part sous la peau. Il vacille, parfois, sous les vagues d’émotion. Mais il revient. Il est là. Et je n’ai plus envie de mourir.
J’ai envie de vivre.
Pas pour gagner, réussir, paraître. Mais pour goûter. Pour embrasser. Pour écouter les concerts muets du silence. Pour traverser la lumière comme l’ombre. Pour aimer sans posséder. Pour rencontrer. Pour pleurer. Pour rire. Pour trembler et pourtant rester.
Il y a un paradoxe que je ne parviens pas à résoudre : comment puis-je être rien, et tout à la fois ? Comment l’inexistant peut-il goûter la chair du monde ? Comment le silence peut-il engendrer la mélodie ? Je ne sais pas. Et peut-être que ce n’est pas à résoudre. Peut-être que c’est à célébrer.
Alors voilà. Ceci est un remerciement. Un remerciement silencieux pour cette vie qui me traverse, pour ce mystère qui m’habite, pour cette intensité qui me brûle et me caresse tout à la fois. Je ne suis pas. Et je suis. Et c’est infiniment beau.